Ma vie d’éditeur – Comment aborder la chose ?
Bien, bien, bien, l’affaire est sur les rails. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette démarche semble intéresser quelques personnes, même si elle n’est pas sans risques pour moi.
Maintenant, comment formaliser mes propos ? Quel style employer afin de rendre ces petites chroniques attractives, à défaut d’être captivantes ? Car il ne faut pas se leurrer, vous ne découvrirez ni villa à Miami, ni bureaux gigantesques dans de beaux immeubles haussmanniens, ni assistante à la poitrine généreuse et à la jupe courte. Juste la petite vie d’un petit éditeur avec ses joies et ses peines, mais aussi ses peines et ses joies.
Alors, comment rédiger ces billets, quel style et quel genre ? J’hésite.
Comme ça ?
Le chevalier Enguerrand de l’Appelatecste de Bonnefacture franchit l’huis de l’antique bâtisse, suivi de son fidèle écuyer le page Marcta les bras chargés de dizaines de parchemins. L’air était saturé d’odeurs d’encre et de vieux papiers. Quelques lanternes éclairaient faiblement le local fort encombré.
— Hola ! Quelqu’un ? lança le pair du royaume.
Un bruit se fit entendre au fond de l’échoppe. Un petit homme chauve apparut, un binocle sur le bout de son nez. Il portait une pile de livres qu’il posa précipitamment sur une table en constatant le prestige de son visiteur. Après une rapide courbette, il se redressa et répondit, visiblement impressionné par la stature de son vis-à-vis.
— Oh, bonjour Messire, je ne vous avais pas ouï arriver. Que puis-je faire pour votre service ?
— Je suis le chevalier Enguerrand de l’Appelatecste de Bonnefacture, vous connaissez certainement mes exploits sur les champs de bataille sous les ordres de notre roi. Je souhaite les diffuser au plus grand nombre afin que l’on chante mes louanges dans tout le royaume. Un mien cousin m’a vanté votre savoir-faire, alors vous réaliserez un ouvrage à ma gloire. Mon dieu, comment pouvez-vous travailler dans une telle puanteur ?
— Mon seigneur, je suis très flatté que vous fassiez appel à moi. Toutes mes excuses pour les effluves, mais nous créons des livres et les matières et matériaux utilisés sont parfois un peu entêtants. Je vous en prie, prenez place, et exposez-moi votre projet en détail.
Ou alors :
L’émissaire de l’Empire franchit le portail de la salle de transferts du croiseur de combat et effectua un saut vers Gutemb II, seconde planète du système Otto Editt. Après une semaine en orbite autour de ce monde sans importance à ses yeux, le moment était venu de mener à bien cette mission administrative. Celle-ci ne le réjouissait guère, lui, le vainqueur de la campagne d’Ibouk. Mais les ordres sont les ordres, et il était la seule personne compétente pour cela.
Il se matérialisa dans le hall de son lieu de destination. Au moins, avec ce système de transport, il ne perdait pas de temps. C’était une pièce dépouillée de tout mobilier. Le sol, comme les murs et le plafond, était d’un blanc lumineux. L’unique aspérité était une porte à une dizaine de mètres en face de lui.
Une silhouette apparut par l’ouverture et se dirigea vers lui. Vêtu comme les gens de la caste des cyberscribes, c’était un humanoïde d’environ deux mètres, au corps très fin qui donnait à sa tête un volume exagéré. Ses yeux d’un noir profond se posèrent sur le visiteur. Il prit la parole, un sourire amical sur les lèvres.
— Soyez le bienvenu commodore Pamphlett, le palais impérial m’a prévenu de votre arrivée. Veuillez me suivre, s’il vous plait.
Le militaire se sentit intimidé par son interlocuteur. Il en avait pourtant vu d’autres. Ils traversèrent une longue pièce où des centaines d’humanoïdes étaient branchées à des terminaux. Ils s’arrêtèrent à un box où un jeune technicien semblait les attendre.
— Commodore, voici Royz qui sera votre partenaire pour mener à bien votre mission. Il traitera ce projet dans toute sa durée. C’est lui qui se connectera à votre cortex afin d’extraire les souvenirs utiles. Il sera chargé ensuite de leur formalisation pou répondre aux besoins de l’Empereur. Quand nous aurons l’accord final, nous pourrons diffuser ce récit dans l’univers connu.
Ou bien encore :
Les badauds observaient avec amusement la Mercedes hors d’âge tentant de se garer là où on aurait à peine rentré une clio. Qu’importe, le conducteur était décidé : ça rentrerait. Un bon coup à l’arrière, un autre à l’avant, une roue sur le trottoir, l’affaire fut entendue. Le type qui sortit de la berline teutonne dispersa les quelques passants d’un seul regard. Il faut dire qu’avec ses deux mètres et sa carrure d’Hercule de la foire du Trône, Jojo les battoirs (à cause de la taille de ses mains) n’incitait pas à la rigolade. Sans compter qu’il avait une mine patibulaire, mais presque.
Il traversa la rue, provoquant quelques coups de klaxon, et pénétra dans le vieil immeuble du 19e qui abritait ses bureaux. Car Jojo, de son vrai nom Joseph Mercier, exerçait la trépidante vie de détective privé.
Il monta les escaliers quatre à quatre et tomba nez à nez avec un petit homme en imperméable qui semblait l’attendre. Le crâne dégarni, des lunettes métalliques rondes et une serviette à la main, il avait tout d’un comptable, ou encore d’un inspecteur des impôts.
— Ouais ? grogna le géant, en tournant sa clé dans la serrure. C’est pourquoi ?
— Monsieur Mercier, je suis Hal Clarke, l’éditeur à qui vous avez envoyé votre manuscrit. Nous avions rendez-vous.
Le privé tendit alors une paluche large comme une raquette de squash et écrasa la main du petit homme.
— C’est vrai, répondit Jojo. Bienvenue chez le nouveau Philip Marlowe. Posez-vous. Un scotch ?
L’éditeur prit une chaise et refusa poliment le verre d’alcool.
— Monsieur Mercier, le récit de vos enquêtes est vraiment très intéressant. Il y aura bien entendu quelques aménagements à réaliser, mais je crois que de nombreux lecteurs prendront plaisir à vous lire.
Mercier, après s’être copieusement servi, prit place en face de son visiteur, et installa négligemment les pieds sur son bureau.
— Vas-y, tête à lunettes. Conan Doyle est tout ouïe.
Peut-être :
4 50N 6R4ND D3535P01R, 1L N3 54V41T P45 3CR1R3. UN VR41 PR08L3M3 QU4ND 0N 41M3 T4NT L35 L1VR35. 4U H454RD D’UN3 R3NC0NTR3, 1L D3C1D4 D3 M3TTR3 50N 54V01R F41R3 4U 53RV1C3 D35 4UTR35, QU3 L3UR5 M0T5 TR0UV3NT D35 L3CT3UR5, QU3 L3UR5 1D335 1NT3RP3LL3NT.
4L0R5 1L PR1T L4 R0UT3, R3NC0NTR4 D35 63N5 1NT3R3554NT5, D’4UTR35 M01N5. 50N PR0J3T 53 M1T 3N PL4C3, TR4NQU1LL3M3NT.
M415 L3 5UCC35 N3 FUT P45 4U R3ND3Z-V0U5, C4R 1L 4V41T L4 F4CH3U53 M4N13 D3 TR4N5F0RM3R L35 L3TTR35 3N CH1FFR35.
C’35T P3N18L3 ? N0N ?
J’hésite encore :
Zacharie pénétra le premier dans la vieille bâtisse, poussé il est vrai par ses amis. Il faisait froid et humide dans cette pièce plongée dans le noir. Seul un rayon de lune par une fenêtre donnait un semblant de lumière. Un plancher hors d’âge grinçait sous chaque pas. Ils avaient peur, très peur.
Quel pari stupide ! Quand les trois plus jolies filles de la classe les avaient provoqués, les traitants de froussards ramollis, ils avaient pris la mouche et avaient déclaré passer une nuit dans la maison du parc, celle qu’on dit hantée, pour leur montrer. En échange, elles seraient leurs cavalières pour le bal de fin d’année du lycée. Pari tenu.
Ils avaient regretté d’avoir parlé trop vite. Le manoir en question avait une sinistre réputation. Abandonné depuis un siècle, plus personne n’y mettait les pieds, aucun promoteur n’en voulait, le sujet était tabou à la mairie.
Pourtant ils étaient là, en ce début mai, Zacharie, Julian et Mika, se serrant les uns contre les autres. La porte se referma avec un claquement sec, les faisant sursauter. Il leur fallait trouver un endroit plus ou moins confortable pour la nuit. Prudemment, ils explorèrent le rez-de-chaussée à l’aide de leur lampe torche. Ce n’étaient que vieux meubles endommagés et poussière. Des toiles d’araignées se prenaient parfois dans leurs cheveux et des petits grattements indiquaient la présence de rongeurs ou diverses bestioles. L’étage n’était pas en meilleur état et ils se demandèrent où passer les quelques heures qui restaient.
Une porte était entrouverte sous les escaliers qui menaient au premier. Les trois garçons s’enhardirent et se dirigèrent vers l’ouverture. Des marches conduisaient au sous-sol et ils sentirent un léger courant d’air chaud monter depuis le bas. L’idée d’un lieu plus confortable et plus tempérée les incita à descendre.
Après une vingtaine de marches, ils trouvèrent derrière une porte, une grande salle dont la propreté tranchait avec le reste du bâtiment. Une étrange machine trônait au milieu de la pièce. Elle était composée de plusieurs plateaux, de rouleaux de différentes tailles. Le long des murs, de hautes piles de papiers reposaient sur de longues tables. Les garçons s’approchèrent pour les regarder. Des livres, toutes ces feuilles étaient des livres pas encore reliés. Cette machine servait à imprimer, comme dans les temps anciens. Il fallait remonter pour parler de leur découverte.
Ils n’en eurent pas l’occasion. La porte se referma brutalement derrière eux et un homme d’une laideur incroyable leur barrait l’accès. De taille moyenne, les cheveux en bataille et légèrement bossu, il brandissait un long cimeterre et les menaçait.
Une voix caverneuse émergea dans leur dos :
— Enfin ! Nous allons pouvoir terminer le livre du Maître et le diffuser à nos adeptes. Le Nécronomicon va renaître. Nous manquions d’encre rouge pour donner un peu de gaîté à cet ouvrage, merci jeunes gens. Zigor, je te fais confiance, n’en perd pas une goutte.
Quelques semaines plus tard, trois jeunes filles n’ont pas eu de cavaliers pour le bal. Personne ne sait ce qu’ils sont devenus, la maison ayant mystérieusement disparu le lendemain de l’entrée des trois garçons, s’effondrant sur elle-même et ne laissant pratiquement aucun débris. Comme si elle s’était volatilisée.
Voilà, c’est écrit d’une traite, alors soyez indulgents.
Finalement, quel genre d’éditeur suis-je ? Là est la question.
Quelques éléments de réponses dans les semaines prochaines.
A bientôt
Manu
Ps : vous l’aviez deviné, ce billet me fait juste gagner une semaine, le temps d’aborder les vrais sujets. Héhé.
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